Fiches varietes : faire sortir de l’anonymat des bijoux de la biodiversite

Publié par Robin NOEL - Equipe Biodiversité - AgroBio Périgord on Thursday, December 16, 2021

Introduction

Le travail sur la réalisation des fiches variétés est le résultat d’une réflexion entre les animateurs-techniciens et les agriculteurs référents du programme Biodiversité suite à différents constats.

  • Le premier constat était que de très nombreuses données et mesures avaient été acquises au fil des années par les animateurs, souvent tournants, de l’équipe Biodiversité et que ces données étaient peu valorisées, voire pas du tout. L’objectif est donc de rassembler, mettre en forme, analyser toutes ces données pour qu’elles puissent « dialoguer » entre elles et produire un contenu technique robuste, transmissible et mobilisable par les agriculteurs.

  • Le second constat était que de très nombreuses variétés, malgré des caractéristiques intéressantes, n’ont jamais été multipliées ou adoptées par des paysans pour la simple raison qu’elles étaient méconnues : c’était le petit lot au fond du placard qui n’était jamais distribué. Grâce à la mise en place d’une base de données qui facilite la vision des stocks disponibles et le niveau de présence des variétés dans les champs des agriculteurs, certaines variétés ont désormais l’opportunité de sortir de l’anonymat.

  • Enfin le dernier constat était que « l’on ne connaissait pas les variétés », il était difficile de les décrire autrement que par la couleur de l’épi et il était très difficile d’orienter les agriculteurs sur le choix d’une variété adaptée à leur système agricole, leur mode de valorisation et leur localité. Avec les fiches variétés, il est désormais possible de mieux répondre aux besoins des agriculteurs et mieux faire coïncider la biodiversité cultivée avec la diversité des systèmes agricoles. Enfin le dernier objectif est de rendre plus accessible les connaissances sur les variétés en les objectivant et de les « décentraliser » pour garantir une meilleure appropriation et meilleure pérennité des variétés et des connaissances.

Depuis les débuts du programme en 2002, les animateurs-techniciens de la Maison de la Semence effectuent chaque année de nombreuses mesures sur les variétés

Figure 1: Depuis les débuts du programme en 2002, les animateurs-techniciens de la Maison de la Semence effectuent chaque année de nombreuses mesures sur les variétés

Les composants de la fiche variete :

1) Groupe de precocite

La précocité est calculée en somme de degrés-jours (cumul des températures journalières moyennes) de la date de semis jusqu’à ce que 50% des plantes de la population émettent une fleur femelle.

On dit que le maïs est de « base 6-30°C», c’est-à-dire qu’il ne valorise pour sa croissance que les températures comprises entre 6°C et 30°C.

Les groupes de précocité (« précoce », « demi-précoce »…) sont issus de références utilisées notamment par les coopératives. Les semenciers industriels utilisent un système d’indice dont les méthodes de calcul sont différentes d’un semencier à l’autre et il est nécessaire de se construire de nouvelles références avec les maïs populations (ex : un hybride décrit comme demi-précoce tombe dans le groupe des tardifs avec la méthode de calcul basée sur les sommes de degrés-jours).

La plupart des maïs populations sont très tardifs (plus de 80%). Il est important de préciser que la date de floraison d’une variété dépend aussi des conditions environnementales (au-delà de sa génétique) car, en cas de stress hydrique, le cycle de la plante est ralenti et la floraison est retardée.

La précocité des variétés peut aussi être caractérisée sur la vitesse de dessiccation de la plante, un caractère plus intéressant pour les agriculteur-trice-s et pour anticiper la date de récolte. Ce caractère est difficile à mesurer avec les moyens de l’association. Bien que la vitesse de dessiccation soit, dans la grande majorité des cas, très liée à la précocité femelle, il existe des différences intéressantes entre des variétés de même précocité femelle.

Pour aller plus loin sur la notion de précocité, nous vous invitons à la lecture de cet article : Qu’est-ce-que la précocité et comment la mesure-t-on?

2) Statut de sauvegarde

Le statut de sauvegarde de la variété prend en compte le nombre de parcelles de reproductions connues et récentes. Ainsi, l’équipe de la maison de la semence d’AgroBio Périgord est toujours preneuse des petites nouvelles des agriculteurs « Cette année j’ai semé ça », « j’ai donné la variété à mon voisin »,… afin que cet indicateur de sauvegarde de la biodiversité puisse être le plus juste possible. Dès qu’une variété est en danger, cela tire la sonnette d’alarme et les animateurs s’efforcent de trouver un moyen pour remultiplier ou faire adopter la variété.

3) Etat des stocks

Il donne une idée pour les demandeurs de semences ou pour les agriculteurs du réseau du niveau des stocks de chaque variété à la Maison de la Semence (MDS). L’objectif est de compter, si possible, sur l’implication des agriculteurs qui cultivent telle ou telle variété pour réapprovisionner la MDS. Normalement, si le système de dons/retours de semences pratiqué chaque année est efficace, il n’est pas nécessaire de solliciter les paysans sélectionneurs, bien que nous ne soyons jamais à l’abri d’un aléa.

Plus de 100 variétés de maïs sont conservées à la Maison de la Semence mais il est toujours difficile de maintenir un stock de sauvegarde suffisant pour chacunes d'entre elles

Figure 2: Plus de 100 variétés de maïs sont conservées à la Maison de la Semence mais il est toujours difficile de maintenir un stock de sauvegarde suffisant pour chacunes d’entre elles

4) Origine et histoire

Chaque variété de maïs population hébergée et distribuée par la Maison de la Semence porte une histoire, une personnalité ; son évolution est le fruit d’accidents, de coïncidences, de la sensibilité d’un agriculteur, d’une histoire de famille… Les origines des variétés ne sont pas toujours bien connues mais sont retranscrites le plus fidèlement possible.

5) Caracteristiques de la variete

Les chiffres sont des photographies

Les caractéristiques agronomiques chiffrées, données dans le tableau, sont le fruit de nombreuses années d’observations et de mesures effectuées sur la plateforme annuelle de la Maison de la Semence Paysanne. Presque toutes les données sont acquises dans le même système de culture : non irrigué, bas intrant (principalement du fumier de cheval), pairie légumineuse (15-25%) en précédent, très bonne maîtrise de l’enherbement. Nous ne détaillons pas ici la méthode statistique pour obtenir les moyennes présentées (rédaction de la méthode si la demande se fait sentir). Les petits chiffres entre parenthèse indiquent le nombre de situations (différentes années et/ou différentes parcelles) dans lesquelles les variétés ont été observées ; plus le chiffre en important, plus les données sont robustes.

Ces caractéristiques chiffrées, quantitatives, brutes, sont le fruit d’un travail conséquent! Et pourtant, il s’agit certainement de la composante la moins intéressante de la fiche, elles sont peut-être même dangereuses (mais non elles ne vont pas vous manger)! Ces données ne sont pas fausses mais elles présentent trois limites majeures:

  • Elles ont été collectées dans une faible diversité de conditions culturales, elles ne sont pas représentatives et ne pourront jamais l’être. Les caractéristiques quantitatives (rendement, hauteur, protéine) dépendent bien plus de l’environnement de culture que de la génétique de la variété. Ces données permettent, au maximum, de comparer les variétés les unes aux autres. Et encore…

  • Il existe des interactions entre la génétique d’une plante et son environnement. C’est à dire qu’une variété A peut mieux se comporter que la variété B dans un environnement donné; mais que la variété B sera “meilleure”" que la variété A dans un autre environnement. Derrières ces phénomènes d’interactions se cache en partie les grands principes d’“adaptation” et de “sélection naturelle”. Cependant, même s’ils sont très complèxes, l’effet de l’interactions entre génétique et environnement est souvent beaucoup plus faible que l’effet de l’environnement (très fort) et de la génétique (moyen). Donc dans la plupart des cas la variété A restera “meilleure”" que la variété B même si l’on change l’environnement d’observation.

  • Les variétés populations évoluent sous l’effet de la sélection paysanne, et de la sélection naturelle dans une moindre mesure. Ainsi, aucune valeur n’est immuable, ni même la forme ou la couleur des épis : les variétés populations sont façonnées par les paysans, le hasard, le temps. Les données et les photos présentées ne sont donc que des photographies de telle ou telle souche, telle ou telle génération mais ne représentent pas l’entièreté de la diversité existante ni de la diversité des possibles.

Caractéristiques présentées

  • Le Rendement à 15% d’humidité. Il est souvent calculé sur une longueur de 10m où tous les épis sont collectés (même ceux au sol), il aurait donc tendance à être surestimé. Depuis 2021, nous faisons des estimations sur 20m (données plus robustes). Pour certaines variétés et certaines années, nous avons aussi fait des évaluations de “rendement batteuse” sur des placettes d’une 60ène de m2.

  • La Précocité : caractéristique indispensable dans le choix des variétés. Un article complet y est consacré : Qu’est-ce-que la précocité et comment la mesure-t-on?

  • L’étalement de la floraison : est une nouvelle caractéristique que nous avons particulièrement étudiée en 2021. Elle exprime la durée, en jour, entre le moment où 25% des pieds de la population libèrent du pollen depuis la fleur mâle (panicule) et le moment où 75% des pieds de la population ont émis leur première fleur femelle (soies). Un étalement long est le signe d’une forte diversité génétique sur la précocité des pieds, il conduit souvent à plus d’autofécondation.

  • L’indice d’éloignement floral : est un indicateur de “succès de fécondation” car il mesure la coïncidence entre la floraison mâle et la floraison femelle à l’échelle de la population. Cet indice est directement lié à la tolérance à la sécheresse de la variété : un indice fort ne semble jamais être un avantage… Cet indice est très variable selon les conditions environnementales.

  • L’intervalle floraison femelle et mâle, souvent noté “IFM” dans la littérature (“ASI” en anglais) est un indicateur très communément utilisé pour décrire la coïncidence entre floraison mâle et femelle : il correspond à la différence, en nombre de jours, entre le moment où 50% de la population a émis la fleur femelle et 50% où la population a émis la fleur mâle. Il décrit exactement la même chose que l’indice d’éloignement floral, il est plus facile à estimer mais moins précis pour décrire la diversité des profils des maïs populations.

  • La sensibilité à la verse : a été mesurée de nombreuses années sur la plateforme : un pied est considéré comme “versé” lorsqu’il y a une pliure ou cassure de la tige sous l’épi. Il existe plusieurs types de verses qui ne sont pas différenciées ici. Il y a la “verse parasitaire” qui traduit une cassure d’une tige fragilisée par un parasite (souvent une sésamie), il y a la “verse de tige” liée à une fragilité structurelle de la tige (plus tendre, moins ligneuse) et la “verse racinaire” qui traduit un déracinement du pied.

  • Proportion de pieds sans épi. Nous considérons ici comme “pied sans épi”, un pied qui ne produit pas de grain (ou moins de 10 grains). Derrière cette caractéristique se cache plusieurs types de plantes.
    • Les pieds de maïs chétifs sont de taille normale (ou faible) mais la tige est très fine, elle émet parfois une fleur femelle timide mais qui ne donnera pas d’épi.
    • Les pieds nains sont des pieds malformés, ne dépassant pas le mètre avec les entrenœud tassés et parfois des anomalies florales avec des soies sur la panicule. Une attaque de sésamie ou une blessure de bineuse sont souvent les causes de ce phénotype
    • Des pieds parfaitement bien formés mais qui ne produisent pas de fleur femelle (très rare)
    • Le plus souvent des cas, ce sont des épis non fécondés qui sont le résultat d’un fort éloignement floral accompagné d’un stress thermique ou hydrique.
  • Taux de protéines dans le grain. Cette caractéristique est souvent corrélée à la proportion d’amidon vitreux dans le grain qui donnera de la semoule si on passe ce grain au moulin.

  • Taux d’amidon dans le grain. Cette caractéristique est souvent corrélée à la proportion d’amidon farineux dans le grain qui donnera de la farine si on passe ce grain au moulin.

  • Taux de sucres solubles dans le grain. Il se retrouve très certainement dans la farine et participera à la construction du goût de celle-ci.

  • Taux de matières grasses dans le grain. C’est probablement la quantité et la nature des matières grasses qui participe le plus à la diversité des goûts chez les maïs populations.

  • La Hauteur de plante est un caractère très lié au développement végétatif de la population et à sa capacité à occulter le sol. Les grandes plantes sont souvent des plantes tardives. Nous n’étudions pas les valeurs et rendements ensilage à la Maison de la Semence mais il y a fort à parier que les grandes populations sont celles qui produisent le plus de matière sèche à l’hectare.

  • Hauteur d’insertion d’épi et la position relative de l’épi sur la plante sont des caractéristiques mesurées depuis longtemps à la Maison de la Semence car supposément liées au risque de verse. Mais les très nombreuses données collectées depuis plus de 20 ans ne montrent pas ce lien chez nos maïs populations… ce qui remet un peu en question la pertinence de la mesure de ce caractère.
  • Poids de l’épi, Poids Mille Grains, Nombre de rangs, Nombre de grains par rang et Longueur de l’épi permettent de décrire la construction du rendement de la variété et la forme de ses épis.

6) Description et particularites

Commentaire sur les atouts, faiblesses, originalités de la variété avec parfois des retours d’expérience d’agriculteurs, boulangers… des résultats de tests de meunerie ou d’analyses gustatives.

Vie et utilisation des fiches varietes

Toutes les fiches variétés sont en libre accès sur internet. Toute personne intéressée peut alors flâner, apprécier les couleurs et les formes des épis de maïs, se laisser séduire par l’histoire d’une variété, peser les avantages et inconvénients agronomiques de chacune d’elles… Un espace « témoignage et retour d’expérience » sera à la disposition de tout volontaire pour partager les résultats de sa campagne de culture, ses tests de panifications… (En attendant que cette interface soit mise en place, n’hésitez pas à nous faire vos retours d’expériences par mail -> bouton enveloppe en bas de la page).

Les fiches variétés ne sont pas des objets figés mais dynamiques (tout comme les variétés elles-mêmes). Elles sont liées directement avec notre connaissance du statut de sauvegarde des variétés, de l’état des stocks de la Maison de la Semence et, à chaque nouvelle série de mesures obtenue sur la plateforme expérimentale, les données seront réactualisées. De nouvelles caractéristiques pourront aussi être mesurées en fonction des sollicitations des agriculteurs, tous les commentaires sur la mise en forme des données, la clarté de la fiche, etc. seront les bienvenus.

Au-delà des fiches, d’autres outils seront progressivement mis en place pour faciliter l’accès aux données expérimentales acquises par AgroBio Périgord sur les variétés populations de maïs mais aussi de tournesol, sorgho et espèces potagères).