Mais populations et secheresse
Depuis quelques années, le groupe d’agriculteurs de Dordogne travaillant sur les maïs populations et sa sélection se pose des questions sur l’adaptation des variétés au changement climatique, notamment à la récurrence des épisodes de sécheresse qui peuvent entraîner de gros décrochage de rendement.
Adrien Amé, stagiaire en 2020 à la Maison de la Semence pour son mémoire de fin d’étude, a pris du temps lors de son stage pour synthétiser un premier travail de recherche bibliographique initié par des étudiants de VetAgroSup (projet tutoré en 2018) sur l’identification de critères de sélection liés à la tolérance à la sécheresse (RAPPORT PDF).
Vous pouvez trouver cette excellente synthèse “Le mais face au changement climatique. Quels leviers de sélection mettre en oeuvre pour s’adapter” ici
Dans un second temps, quelques recherches bibliographiques supplémentaires effectuées en 2021, accompagnées d’une analyse rapide de quelques données historiques collectées sur la plateforme, ont fait émerger des questionnements sur un caractère phénotypique encore peu étudié à la Maison de la Semence : la protandrie.
Qu’est-ce-que la protandrie
Definition
La protandrie décrit le phénomène de floraison que l’on trouve chez le maïs où les fleurs mâles libèrent des pollens dans le milieu avant l’arrivée des organes femelles: les soies.
L’indicateur très souvent utilisé pour décrire le caractère protandrique des populations est l’IFM (Intervalle floraison femelle - mâle) (ou ASI dans la littérature anglophone).
L’IFM correspond à l’intervalle de temps entre le moment où 50% des plantes d’une population ont émis leur fleur femelle et le moment où 50% des plantes ont émis leur fleur mâle. Il s’exprime la plupart du temps en jours (ex : 5 jours).
Certains auteurs présentent des corrélations négatives extrêmement fortes entre IFM et rendement (plus l’IFM est court, plus les rendements sont importants) et cette corrélation semble s’accentuer en situation de stress thermique ou hydrique.
Etudier la protandrie et son lien avec la tolerance a la secheresse
C’est pour travailler sur ce sujet que nous avons recruté Jean Mergnat en stage ingénieur pour 6 mois. Il a réalisé une très bonne synthèse bibliographique sur le sujet et a pris en charge la caractérisation d’une 40ène de variétés populations implantées sur notre plateforme expérimentale annuelle.
Il synthétise son travail de recherche et ses résultats dans la présentation vidéo suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=AMRrYULpvNk&t=543s
Les conclusions importantes qu’apporte Jean sont les suivantes :
Dans la littérature scientifique
Les conditions de sécheresses en Dordogne impactent le rendement grain des maïs populations. Limiter le décrochage de rendement est l’une des premières préoccupations du groupe d’agriculteurs impliqués à la maison de la semence.
En condition climatique “normale”, les variétés avec une protandrie de plus de 5 jours ont un rendement qui décroche et au taux élevé de pieds sans épis (littérature scientifique + mesures sur maïs populations de Dordogne).
Pour une variété donnée, plus les conditions hydriques sont stressantes, plus la floraison femelle est retardée (mais pas la floraison mâle) engendrant une augmentation de la protandrie et une baisse de la fécondation.
Le stress thermique, la sous-densité ou la surdensité de semis et l’enherbement sont d’autres facteurs qui retardent l’arrivée des fleurs femelles.
L’impact de la sécheresse sur la production de grains chez le maïs n’est pas dû à la stérilité du pollen. La cause est plutôt un raccourcissement de l’émission du pollen couplé à un retard d’émission des soies qui peut avoir des conséquences importantes et une forte réduction du potentiel de rendement.
Une protandrie trop élevée peut engendrer une augmentation de la proportion d’épis sans grain (ou très mal fécondés) mais aussi l’avortement ou la non-apparition des fleurs femelles. Les conséquences de ces phénomènes convergent vers l’augmentation de la proportion de pieds improductifs : une problématique largement relevée par les agriculteurs du groupe.
Brève analyse des données de la plateforme 2021
Grâce à la caractérisation plante à plante de la quarantaine des variétés semées sur la plateforme (soit plus de 4000 individus dont nous avons relevé la date de floraison mâle et femelle), nous avons pu constituer un jeu de données conséquent qui nous a permis de faire une première caractérisation des variétés de maïs populations.
On considère qu’une bonne protandrie en année peu stressante (comme 2021) est inférieure à 3 jours. Sur la plateforme, 9 variétés ont une excellente protandrie (entre 0 et 1 jour), 22 variétés ont une protandrie correcte (entre 1 et 4 jours), 5 variétés ont un protandrie moyenne (entre 4 et 5 jours) et 4 variétés ont une très mauvaise protandrie (>5 jours).
En condition stressante (comme 2020), on considère qu’une bonne protandrie est inférieure à 5 jours. 7 variétés furent observées en 2020 et 2021 sur la question de la protandrie. On trouve plusieurs profils de variétés :
les variétés qui ont une bonne protandrie dans les deux situations (Coussarin (1->3) et Georgia (2->4))
les variétés qui ont une bonne protandrie en condition non stressante mais qui dépasse le seuil en situation stressante (Lavergne (1->8), Bénastone (2->6), Porto (4->6), Maxi (3->6))
Les variétés avec une mauvaise protandrie dans les deux situations (Blanc d’Astarac (6->13))
sur la plateforme 2021, la protandrie est corrélée :
négativement avec le pourcentage de pieds avec plusieurs fleurs femelles
positivement avec la proportion de pieds stériles
Les premières données collectées sur la protandrie sont dornéavants implémentées dans les fiches de descriptions des variétés de maïs population de la Maison de la Semence.
L’objectif de l’année 2022 sera de faire une caractérisation pluri-annuelle sur 40 variétés. Et d’étudier les corrélations entre les données rendements 2021 (qui seront aquises printemps 2022) et les dynamiques florales.
Pourquoi sélectionner sur la protandrie ?
La sélection positive sur des critères de rendement en conditions stressante est remise en question par les chercheurs car l’héritabilité des composantes du rendement est très faible dans ces conditions-là. Il est alors nécessaire de préférer des sélections indirectes.
Les phénotypes de maïs tolérants à la sécheresse et à la densité sont caractérisés par un achèvement rapide de l’extrusion de la soie, une croissante rapide du premier épi et une courte protandrie individuelle.
Sélectionner sur la protandrie permet d’augmenter rapidement les potentiels de rendement des variétés dans toutes les conditions climatiques.
l’héritabilité de la protandrie augmente est situation stressante. La sécheresse peut donc être “utilisée” pour travailler sur les caractéristiques florales.
Ainsi, la protandrie est à la fois un caractère phénotypique particulièrement intéressant pour caractériser les variétés et identifier des variétés tolérantes à la sécheresse. Mais c’est aussi un levier d’amélioration et de sélection efficace, notamment en situation de stress climatique.
Developper des protocoles de selection paysanne sur la protandrie en Dordogne
Plusieurs chercheurs et sélectionneurs ont déjà fait de l’amélioration variétale des maïs populations sur la protandrie mais leurs protocoles de sélection ne sont pas rendus publics.
Cependant, il semble que ces sélectionneurs passent systématiquement par du suivi plante à plante, comme nous l’avons fait en 2020 sur la plateforme. Ce travail est chronophage, astreignant et incompatible avec la sélection paysanne sur les fermes. Il est donc nécessaire, à notre échelle, avec nos moyens et avec nos contraintes, d’imaginer de nouveaux protocoles de sélection pour tenter d’améliorer la protandrie des populations.
La base de données créée avec les mesures des protandries individuelles des plantes de la plateforme en 2021 constitue un formidable matériel de travail pour imaginer des protocoles de sélection (car on peut s’en servir pour faire des simulations).
C’est ainsi que fut élaborée et présentée une idée de protocole de sélection aux paysans du groupe maïs population le 4 octobre 2021. Les cerveaux ont fumés et la motivation pour tester en grandeur nature la faisabilité de ces protocoles, imaginés derrière l’ordinateur, est grande !
Vous trouverez l’enregistrement de cette présentation dans cette vidéo.