La conservation des potimarrons en toute autonomie?

Synthèse des essais 2019-2020

Publié par Lorrain Monlyade, l'équipe biodiversité, Agrobio Périgord on Thursday, December 16, 2021

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Cet article a été écrit dans le cadre de la publication du bulletin d’AgroBio Périgord de juin 2020 sur le thème de l’autonomie : on questionne ici la contribution de cette expérimentation (et de ce sujet) au regard de cette thématique - cette première mouture d’article, considérée comme pas assez “technique” (descendante?) a dû faire l’objet d’une réécriture pour sa publication dans le bulletin - voici donc ici la version initiale (inédite!) de la rédaction de synthèse des essais sur la conservation des potimarrons menés en 2019 et 2020

La conservation des potimarrons en toute autonomie?

Depuis 2017 AgroBio Périgord travaille sur la conservation des potimarrons. Ce travail a-t-il quelque chose à voir avec l’autonomie? La réponse à cette question ne me semble pas du tout évidente, mais je vais essayer de la discuter dans cet article.

1) La conservation des potimarrons a AgroBio Perigord: de quoi s’agit-il ?

Pour commencer, quelques éléments pour situer le travail d’AgroBio Périgord sur la conservation des potimarrons. Chaque année depuis 2017, un ou plusieurs maraîcher-ère-s adhérent-e-s de l’association mettent en place la culture d’une ou plusieurs variétés de potimarrons. Sur chacune de ces variétés le rendement et la capacité de conservation sont estimées. Pour mesurer la capacité de conservation, les potimarrons font l’objet d’un suivi sur leur lieu de stockage: toutes les deux semaines ou tous les mois l’agriculteur-trice ou le technicien-ène de l’association comptent les potimarrons encore commercialisables.

2) L’autonomie fait-elle partie des finalites du travail mene par AgroBio Perigord sur la conservation des potimarrons?

Avant de discuter les résultats, je pense qu’il faut revenir sur les finalités de ce travail. Je n’étais pas technicien-animateur à AgroBio Périgord en 2017 mais il me semble que les efforts dispensés depuis le début convergent autour d’un but: vous permettre de conserver et donc de commercialiser des potimarrons orange après janvier.

Imaginons un instant que nous trouvions des leviers qui vous permette de commercialiser des potimarrons orange en quantité entre février et fin mai, en seriez-vous pour autant plus autonome? Tout dépend évidemment de ce que l’on met derrière cette notion d’autonomie, mais il n’est pas clair pour moi que la réponse soit positive. Ce qui me semble à peu près certain en revanche c’est que ce travail, s’il aboutit, pourrait avoir deux conséquences intéressantes. D’une part, il vous permettra de diversifier votre gamme à un moment de la saison où elle n’est pas très fournie, participant à la solidité économique de vos fermes, d’autre part il permettra de constituer une offre locale pour répondre à la demande des consommateurs qui n’hésitent pas aujourd’hui à acheter des potimarrons produits loin, dans le Nord par exemple, participant ainsi à la transition écologique de la Dordogne.

C’est du moins la façon dont je justifie ce travail, mais vous, que pensez-vous de la pertinence de travailler sur la conservation des potimarrons à AgroBio Périgord?

3) Les resultats en question

Parmi les nombreuses questions auxquelles les essais mis en place par AgroBio Périgord tentent de répondre il y a celle-ci : le local de stockage a-t-il un effet sur la conservation des potimarrons?

Pour répondre à cette question la variété Red-Kuri de chez Germinance a été cultivée par un agriculteur du nord Dordogne. A la récolte plusieurs fruits ont été tirés au sort, ils ont été répartis en 4 lots et chacun de ces lots a été placé dans un local de stockage.

  • Le local 1 est de construction récente, il a été construit sur mesure pour la conservation des courges et potimarrons par Guy Forest, maraîcher à Lanouaille, il est isolé et équipé d’un déshumidificateur.

  • Le local 2 a été construit avec les moyens du bord par Antoine Clément et Romain XXX lors de leur passage sur l’espace test de Lanouaille. Ils l’ont isolé et équipé d’un déshumidificateur à moindre frais.

  • Le local 3 est le local que Guy Forest utilise historiquement pour la conservation des courges et potimarrons, il est situé au premier étage d’une vieille grange, il est isolé et équipé d’un déshumidificateur.

  • Le local 4 est une grange sans isolation ni contrôle de l’humidité. C’est dans cette grange que le local 2 a été construit.

Le suivi de la conservation a été réalisé sur les 4 sites. On peut représenter les résultats de manière graphique comme suit :

% de potimarrons commercialisables en fonction de la durée de stockage - Légende: Orange: local 1, Bleu: local 2, Rouge: local 3, Jaune: local 4

Figure 1: % de potimarrons commercialisables en fonction de la durée de stockage - Légende: Orange: local 1, Bleu: local 2, Rouge: local 3, Jaune: local 4

Que pensez-vous de ce graphique? A première vue la conservation ne se passe pas de la même façon entre le local 1 et le local 4, le local de stockage semble avoir un effet sur la conservation et le local 1 semble clairement supérieur du point de vu de la conservation au local 4. Toutefois, avant d’être si affirmatif, il faut prendre quelques précautions.

  • Premièrement il me semble qu’il est bon de s’interroger sur les critères d’après lesquels on peut juger ces résultats. Doit-on se concentrer sur le taux de potimarrons commercialisables en fin d’essai ? Ou faut-il s’intéresser au taux de potimarrons commercialisable à une autre date antérieure ? Ne faut-il pas plutôt s’intéresser à la durée de stockage à laquelle on atteint 50% de perte? Il me semble que ce n’est pas à moi seul de trancher cette question et qu’il faut le faire avec les agriculteur-trice-s concernés par ce sujet. Si par exemple, on ne s’intéresse qu’à la conservation sur les 90 premiers jours, la conclusion est fort différente…

  • Deuxièmement, il faut s’assurer que dans les résultats exposés ci-dessus, on ne mesure bien que l’effet du local sur la conservation et non l’effet d’un autre facteur caché. Il faut par exemple s’assurer que les potimarrons qui ont été transporté dans le local 4 n’ont pas aussi été abîmes au cours du transport affectant leur capacité de conservation. C’est un piège dans lequel on peut vite tomber, mais qui dois le déjouer: le-la technicien-e qui a conduit les essais et rédige les compte-rendus ou l’agriculteur-trice qui les lira?

  • Troisièmement, il ne faut jamais oublier que les résultats sont obtenus sur un échantillon de la population de Red-Kuri. Imaginez qu’au moment de tirer au sort les potimarrons à suivre en conservation nous en avions obtenu d’autres, les résultats auraient-ils été les mêmes? Si nous avions fait cet essai en cultivant les potimarrons chez un-e autre agriculteur-trice, les résultats auraient-ils été les mêmes? Si nous avions fait cet essai une année pluvieuse, les résultats auraient-ils été les mêmes? On touche ici la difficulté de généraliser des résultats à une variété entière, voire à tous les potimarrons, à partir de résultats d’un échantillon. Pour surmonter cette difficulté, on réalise habituellement des répétitions. Dans les résultats que je vous ai présentés ci-dessus, il n’y a pas eu de répétition: c’est une des limites de cet essai. Faut-il pour autant les jeter à la poubelle? Non car d’autres travaillent aussi sur la conservation des potimarrons et certains agriculteurs ont aussi leur expérience à ce sujet: leurs résultats convergent-ils avec ceux que je vous ai présenté? La station expérimentale de Bretagne sud et la Station d’expérimentation Rhône-Alpes informations légumes ont aussi mené des essais sur l’effet du local de stockage sur la conservation des potimarrons. Après avoir consulté les compte-rendus de leurs essais et après avoir discuté de ce sujet avec des agriculteurs, il me semble que les résultats convergent, bien qu’ils ne soient pas unanimes: le local de stockage à température et humidité relative contrôlée semble bien avoir un effet positif sur la conservation des potimarrons et cet effet semble surtout marqué à partir de 3 mois de stockage.

  • Quatrièmement, il faut se demander si les différences observées sont importantes ou faibles et si ça vaut le coût de construire un local dédié pour conserver les potimarrons. Dans les résultats d’AgroBio Périgord, la différence est très marquée passant de 0% de potimarrons commercialisables dans le local 4 à plus de 50% dans le local 1 en fin d’essai ! Faut-il retenir cette valeur? Je ne pense pas car dans les différents travaux des stations d’expérimentations que j’ai pu consulter la différence est plutôt de l’ordre de 20% en fin d’essai entre un stockage sous hangar à température et humidité non régulées et un stockage dans un local à température et humidité relative contrôlées.

Je m’arrête là. J’aurai pu vous épargner cette dissertation et passer directement à la préconisation technique: «si vous souhaitez conserver vos potimarrons après janvier, construisez un local de stockage à température et humidité relative contrôlées !». La lecture aurait été plus rapide, mais qu’en aurait-il été de votre autonomie?

Aujourd’hui, tout le monde produit des synthèses de préconisations techniques à l’usage des agriculteur-trice-s. D’ailleurs, j’en ai aussi écrit une sur la conservation des potimarrons ( dispo ici). Toutefois, il me semble que le thème de ce bulletin invite à interroger cette pratique et la relation qu’il existe entre l’agriculteur-trice, le technicien-ne et les savoirs qu’il-elle-s manipulent.

Soit je rédige une brève synthèse de préconisations techniques d’une page et je laisse dans l’ombre les questions soulevées ci-dessus, je ne vous donne pas l’occasion de voir d’où je tire le savoir que je manipule. Difficile alors pour vous d’en apprécier la fiabilité, la portée et les limites. Difficile de les critiquer, vous n’avez plus le choix qu’entre me croire ou ne pas me croire. Soit je rédige un compte rendu technique détaillé faisant une analyse exhaustive des données disponibles à AgroBio Périgord mais aussi dans les autres lieux de la recherche. Dans ce cas là rien ne vous serait caché, mais le document risquerait d’être fort long à lire (de tels documents existent et vous pouvez les consulter ici => … ou me demander que je vous les envoie). Combien d’entre vous le lirait?

4) Mais ou se trouve l’autonomie?

Par chance, il me semble qu’il existe une troisième voie. Lorsqu’en mars dernier s’est tenu, à Coursac, la réunion de travail sur la conservation des potimarrons, j’ai pu présenter le travail d’AgroBio Périgord et quelques résultats d’autres institutions travaillant sur la conservation des potimarrons. A cette occasion, les agriculteur-trice-s présents ont pu interroger et discuter les résultats présentés. Ils n’étaient pas seulement spectateur-trice-s ou consommateur-trice-s de savoir techniques mais aussi acteur-trice-s dans la production de ces savoirs. Ce n’est peut-être pas à proprement parler une question d’autonomie mais ça me semble tout à fait important.

Revenons-en à l’autonomie. En rédigeant cet article, je me rends compte qu’agriculteur-trice-s et technicien-ène-s deviennent autonomes à chaque fois qu’il-elle-s participent conjointement à l’élaboration du savoir qui les concerne. Pour cela, il me semble indispensable que les agriculteur-trice-s soient présents du début à la fin du processus: lors de la définition des objectifs et des questions de recherche, lorsqu’il s’agit d’inventer le dispositif expérimental, mais aussi lorsqu’il s’agit d’interpréter les résultats et de diffuser le savoir ainsi produit.

Présentation et discussion autour des résultats de l'essai sur la conservation des potimarrons

Figure 2: Présentation et discussion autour des résultats de l’essai sur la conservation des potimarrons

Ainsi conçue, l’autonomie place en son centre la discussion. C’est la raison pour laquelle je vous invite à m’appeler pour discuter de cet article, du travail sur la conservation des potimarrons ou a participer aux prochaines réunions de travail qui ne manqueront pas d’avoir lieu…

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