C’etait en 2017
Cela faisait un mois que je cherchais désespérément un stage pour mon mémoire de fin d’étude… « Chargé d’étude en évaluation environnementale, Chambre d’Agriculture du Nord-Pas-de-Calais» : hum… bof. « Chargé de mission protection de la qualité de l’eau, Picardie »… bon sang, il n’y a que des stages dans le nord ?! Ha, un truc en Aveyron : « Marketing Roquerfort Export, Lactalis » : ça c’est non… Existe-t-il un stage qui corresponde à peu près à mes affinités éthiques et qui soit intellectuellement stimulant (et dans un chouette coin aussi) ? De plus en plus convaincu que non, j’étais au bord de l’implosion à faire les 100 pas dans le logis parental paumé dans le plat pays nantais. Perdu pour perdu, je décide de me barrer dans une ferme en Angleterre pour prendre l’air (et le thé) : en parlant d’R et de T, je m’en vais faire un dernier tour sur Réseau Tee (site pour les jobs sur l’environnement) et là… miracle ! BIM ! Une offre CDI chez Agrobio Périgord : je postule (sait-on jamais : la différence entre stage et CDI c’est qu’une question de paperasse). Trois jours avant de partir chez les Anglais, on me convie pour un entretien. Je raconte tout un tas de salades : comme quoi la thématique des semences paysannes m’intéresse particulièrement, que ma mère est maraîchère bio, que j’ai fait la spécialité Agroécologie à l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers (entre nous, personne ne capte ce qu’est l’Agroécologie, mais c’est un mot qui a la classe !), que depuis tout petit je suis un passionné de nature et que je collectionne les insectes (alors que c’est super ringard d’épingler des bestioles sous verre, en plus ça fait fuir les nanas), que j’ai fait du développement rural au Burundi, un séjour d’étude au Chili, un VIE sur la lune… Bref, les administrateurs et les employés autour de la table gobent tout ça et ils me proposent un stage sur le maïs. Je pars comme prévu biner quelques betteraves et boire de la bière de l’autre côté de la Manche (il est important de biner avant de boire et non l’inverse !) et j’embauche le 11 juin 2017 à Agrobio pour 6 mois.
Mon travail chez Agrobio porte sur la sélection paysanne du maïs population : il s’insère au sein du programme « Cultivons la biodiversité en Nouvelle Aquitaine ». Ce travail peut être décomposé en trois grands axes. (1) Une recherche bibliographique sur la sélection, la génétique et la physiologie du maïs afin de dégager des outils scientifiques et techniques pertinents pour étudier la sélection paysanne et poursuivre le travail d’accompagnement mené par Agrobio Périgord depuis plus de 10 ans. (2) Un suivi expérimentale de l’essai nommé « essai version » mis en place sur la plateforme en 2016 et 2017 dont l’objectif est d’étudier l’effet de la sélection paysanne sur 12 variétés de maïs. L’analyse de cet essai permettra, entre autre, de confronter au terrain certains outils méthodologiques dégagés dans la bibliographie scientifique. Les mesures collectées sur la plateforme seront analysées en y associant une étude des pratiques de sélection de l’agriculteur. (3) Au regard de la bibliographie et des résultats expérimentaux, le dernier axe de travail porte sur l’élaboration d’outils techniques et pédagogiques opérationnels directement mobilisables par Agrobio Périgord et les autres organismes qui accompagnent la sélection paysanne. Le travail réalisé pendant ce stage se situe en amont du projet CASDAR COVALIANCE qui démarrera début 2018 pour 3,5 ans.
En decembre 2021
Je me suis fait happer par le joyeux tourbillon des semences paysannes lors d’un accident de recrutement en 2017 (une histoire rocambolesque et cocasse que je ne vais pas vous narrer). Si on m’avait dit, avant ça, que j’allais travailler pendant plus de 4 ans sur du maïs, cette drôle d’espèce particulièrement impopulaire pour un étudiant gaucho qui veut changer le monde à grand coup d’agro-écologie, je ne l’aurais pas cru ! C’est aux contacts de collègues passionnés et de paysans militants que mes préjugés se sont fait ruer dans les brancards ! Déjà le maïs, c’est beau ! C’est grand, c’est vert, c’est touffu, ça sent bon, on peut se cacher dedans, ça pique aussi un peu les yeux quand on est allergique aux pollens, ça chante quand il murit et puis, bien à l’abri dans son emballage de feuilles, il cache un trésor bien précieux. C’est son épi, sa progéniture, la nouvelle génération : ce sont des petites perles de nacre rondes ou bien des grosses dents jaunes de cheval, des améthystes, des rubis ou des émeraudes, des damiers et des arcs-en-ciel, des soleils de midi et des crépuscules.
En plus de ravir mes sens, le maïs a aussi délicieusement mobilisé ma matière grise : sélection participative, génétique quantitative, expérimentations, hypothèses, théories, statistiques, gestion de données, généalogie, dynamique des populations, animation, journées techniques, méthodologie, formation, vulgarisation, outils pédagogiques,… Autant de termes et de concepts qui peuvent paraitre bien flous vu de loin mais qui furent vibrant dans mon quotidien. Travailler avec ces outils fut ma façon de contribuer modestement à cette grande mission de défendre et vivre la paysannerie, une ruralité conviviale, solidaire, durable. La diffusion de la biodiversité cultivée, la défense de l’autonomie semencière des communautés et l’essor de l’autonomie de décision et de moyens des paysans dans l’amélioration variétale sont des engrenages parmi tant d’autres qu’AgroBio Périgord actionne sur le territoire de la Dordogne mais aussi pour la France entière et au-delà.
En 4 ans de vie en Périgord, dans cette équipe de joyeux drilles animés de passions et d’envies et auprès d’agricultrices et agriculteurs surmotivés, engagés et toujours en mouvements (dans la tête, dans les bras, dans les jambes, dans les champs), j’ai surtout vécu une belle aventure humaine. Les souvenirs se chamboulent et se heurtes et je ne pourrais tous les citer : c’est qu’on en a vécu des choses ensemble ! Je retiens des moments forts d’actions collectives où, ensemble, nous avons eu le sentiment vrai d’avoir bien travaillé, d’avoir progressé, avancé. Je retiens des moments forts de solidarité, où quand le quotidien devenait trop dur, les charges trop fortes, la fatigue trop longue, un ou une collègue était toujours là pour donner sa main et son temps afin de remettre le pied à l’étrier. Et je retiens des moments forts de convivialité, après notamment les fameuses « visites plateformes » où, éreintés, nous nous posions enfin, avec une bière ou un pineau à la main, pour refaire le monde en rigolant. Pour tous ces moments, merci, merci merci !
Allez hop ! Fini le drama et les petits mouchoirs et place à la suite ! De mon côté je prends des grandes vacances de plus d’un an pour faire un petit tour du monde avant de très certainement poser mes valises en Bretagne ou Normandie et démarrer un projet d’installation en collectif avec des copains (pour le moment on est 7) avec dans la tête un atelier maraîchage, un atelier brasserie, (une houblonnière ?) et un café librairie ! Evidement on a 1000 idées plus ou moins farfelues et réalisables ! Et même si je m’installe, soyez bien sûrs que je reviendrais mettre les pieds régulièrement dans le Périgord !
Je transmets en toute confiance le flambeau du « poste maïs » à Romane qui vient d’arriver dans l’équipe car je sais vous serez là pour lui raconter l’histoire du collectif maïs, lui expliquer vos grands projets de croisements, de sélection et autres excentricités agronomiques et surtout lui transmettre la fibre du maïs pop !