Rencontre annuelle sur les mais populations - septembre 2020

Nouvelle formule « portes ouvertes » pour cette année, tournée autour de l’élevage

Publié par Elodie GRAS, Equipe biodiversité d'AgroBio Périgord on Friday, November 20, 2020

La rencontre annuelle sur les maïs populations a lieu tous les ans en Dordogne depuis près de 20 ans. C’est le temps fort du projet de sélection participative sur les variétés paysannes de maïs porté par AgroBio Périgord depuis 2001. Projet qui a pour objectif d’accompagner les paysans vers l’autonomie semencière et la sauvegarde de la biodiversité cultivée. Les actions principales sont :

  • la recherche et la diffusion de variétés paysannes de maïs population

  • la création de nouvelles variétés paysannes, au travers de croisements et

  • l’expérimentation autour de diverses questions sur les maïs paysan :

    • caractérisation des variétés (précocité, rendement, comportement à la verse…)

    • réponse des variétés aux différences de densité de semis, d’irrigation

    • et surtout, depuis ces dernières années, réponse à la sélection paysanne et définition de nouveaux outils de pilotage de cette sélection paysanne.

Il y a 20 ans, les variétés paysannes de maïs étaient, pour ainsi dire, presque inconnues en France. Aujourd’hui, le travail initié en Dordogne par AgroBio Périgord a rayonné dans tout le pays et de nombreux collectifs de paysans cultivent et sélectionnent ces variétés et en autoproduisent la semence. Un vrai travail de préservation et de développement de la biodiversité cultivée a été réalisé et se poursuit sur cette espèce.

En 2020, le souhait a été de faire le lien entre maïs population et élevage. Le maïs étant un des principaux composants des rations de nombreux élevages : bovin, ovin, caprin, poules, canards…

Cette journée s’est déroulée le 24 septembre dernier sur la Ferme des Gardes, à Saint-Antoine-de-Breuilh, ferme participant depuis de nombreuses années à la Maison de la Semence et comportant deux ateliers d’élevage (canard et bovin allaitant).

Malgré le contexte sanitaire incertain et complexifiant les évènements de ce type, plus de 60 participants sont venus à cette journée et sont restés l’après-midi, bravant les averses. Didier Margouti et Simon Marquette ont pu nous présenter la démarche de la ferme et expliquer les raisons de leur investissement sur cette thématique de sélection de variétés paysannes de maïs et d’autoproduction de semence à la ferme.

Ils ont accueilli pour cette journée des paysans de toute la France qui sont venus témoigner durant deux tables rondes, sur leur production de maïs population et son utilisation pour leur élevage :

Table-ronde “ensilage” avec :

• Denis Chaume, éleveur bovin viande (24) AgroBio Périgord • Dominique Choin et Philippe Tanguy, éleveurs bovin lait (44) FD-CIVAM 44 • Didier Bruyère, éleveur bovin lait (42) ADDEAR 42 • Florence Fargier, Conseillère agricole (42) Rhône Conseil Elevage (ex-Contrôle laitier) + ADDEAR 42

Table-ronde “grain” avec :

• Didier Margouti, éleveur bovin viande et canard gras (24) et Yannick Payement, éleveur de volailles (24) AgroBio Périgord • Armand Duteil, éleveur bovin viande (24) Mazorca Périgord • Laurent Tite, éleveur bovin lait et caprin (33) AgroBio GIRONDE

Malheureusement 2 éleveurs du Pays Basque (Jean-Michel Berho, éleveur volailles / canard gras (64) et Beñat Duhalde, éleveur brebis lait (64) BLE) n’ont pas pu venir à la dernière minute à cause de cas de Covid-19, nous les remercions pour leur engagement et le temps passé pour les échanges d’information en amont.

Les tables rondes de la matinée se sont clôturées par un délicieux repas, à base de maïs paysan ! Pour illustrer cette fois que le maïs n’est pas uniquement consommé par le bétail mais également en alimentation humaine. Repas orchestré par Laurence Dessimoulie, cuisinière éco-responsable, adhérente très impliquée au sein du Réseau Semences Paysannes et auteur de plusieurs ouvrages sur les semences paysannes . Un projet de partenariat est d’ailleurs en cours avec elle pour un livre de recettes sur les graines de tournesol population.

La visite des parcelles de maïs paysan a eu lieu l’après-midi, présentant différentes variétés et actions menées sur la Ferme avec AgroBio Périgord :

  • Georgia a été créée par Didier, à partir du croisement dirigé de 12 variétés, selon la méthode du protocole Brésilien, c’est aujourd’hui la variété phare de la ferme.

  • Porto est une variété cultivée sur cette ferme car elle a été retenue, au sein d’un panel de plusieurs variétés, dans le cadre d’un projet de valorisation du maïs en alimentation humaine avec construction d’une filière en cours avec un partenaire de l’aval.

  • Lavergne est une variété créée par Bertrand Lassaigne, elle est présente sur la ferme dans le cadre des essais Covalience.

  • Maxis est une variété collective en cours de création paysanne. Basée sur le principe de la méta-population, elle est évolutive, en fonction des apports annuels des différents paysans du groupe de Dordogne, sur le critère « gros (maxis !) épis ».

  • Hybride : Plusieurs hybrides sont cultivés sur la ferme sur les terres irrigables.

  • Expérimentation population VS hybride et quantité d’irrigation : en 2019, plusieurs comparaisons population vs hybride ont pu être faites, sur les rendements ainsi que sur la quantité d’irrigation. Elles ont été présentées à tous les participants sur la parcelle 2020 où population et hybride se côtoient à nouveau. Didier a, en 2020, diminué de moitié l’irrigation sur les populations.

  • Plateforme du projet Covalience : observation de différentes modalités de sélection obtenues sur la Ferme des Gardes et sur les autres fermes participant au projet. C’est sur cette dernière parcelle, que le groupe est resté le plus longtemps, avec une explication détaillée du projet, de ces fondements et enjeux. Les paysans de Loire-Atlantique et de la Loire, partenaires au sein de ce même projet de recherche Covalience, ont ensuite présenté les méthodes mises en œuvre dans leurs collectifs. Les débats sur les postures de sélection de chacun, entre questions pragmatiques de résultats, de rendements, de données économiques et aspirations plus sensibles ont été très riches, laissant entrevoir l’infinité du champ des possibles, en ce qui concerne la sélection participative des variétés paysannes.

Temoignages paysans :

Didier Margouti : L’apprentissage par l’expérience, comment faire une place au maïs population au sein de sa ferme, requestionner le sens, les objectifs et pouvoir un jour transmettre.

On a démarré avec l’idée de valoriser le maïs population en grain, on a arrêté l’usage de l’ensilage pour les vaches dans les années 2000. On a eu énormément de mal à lui trouver une place économique, ma vision au départ était surtout technique et politique. [….] Et pas tellement économique, on est rentré dans une logique de production complétement calquée sur le maïs hybride, on s’est dit, on va changer le maïs hybride par du maïs population. Et ça c’est l’erreur fondamentale à ne pas commettre. Le maïs population et l’autonomie semencière, dans toutes les espèces, nous invitent à repenser le modèle agricole, et sans ces fondamentaux là on sera obligatoirement dans l’échec.

Moi, ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce n’est pas forcément des résultats économiques, heureusement la ferme tourne bien, elle est relativement bien assise, ça fonctionne, si on n’avait pas le maïs population on fonctionnerait quand même. Moi c’est le côté expérimental qui m’intéresse beaucoup, mais je tiens à ce que la variété Géorgia trouve sa place économique et technique et elle la trouve d’ailleurs. On prouvera dans les années à venir que c’est du bon sens à l’état pur, sauf que pour y arriver il aura fallu apprendre et continuer à apprendre à s’approprier la technique de la sélection. Il y a aujourd’hui des organisations qui sont capables de donner des informations, mais c’est un vrai travail à titre individuel. On doit relier un objectif à sa propre ferme, […] et après il faut faire soi-même son chemin et peut-être adapter son système d’exploitation à l’idée d’intégrer du maïs population.

Et ça c’est une expérience que je tenais particulièrement à partager, je suis content de le faire aujourd’hui et qu’il y ait du monde, car c’est vraiment les fondamentaux.

Didier Margouti : L’eau, problématique au cœur des questions de la culture du maïs et du maïs population

[…] Ah oui, car j’ai oublié de vous le dire, mais dans cette exploitation on irrigue, nous sommes dans la vallée de la Dordogne sur un support sableux-limoneux donc très drainant, cela à un intérêt pour les cultures d’hiver mais pour les cultures d’été… c’est dur des fois, il y a beaucoup de cailloux même. Donc l’irrigation est indispensable, au moins en sécurité. Et donc on était parti sur cette posture d’arriver à développer des populations qui se passeraient carrément d’irrigation en vallée, et là c’est une erreur. Des années on a semé des maïs sur lesquels on avait fait des sélections draconiennes, nous donnant des rendements proches de 0, […]. Donc effectivement, la question de l’eau pour le maïs se pose toujours, je ne veux surtout pas rentrer dans un débat car c’est long et il n’y a sûrement pas que la sélection qui peut influencer cette question de l’eau, mais elle est prépondérante et surtout il faut se poser la question de combien on veut d’eau, pas de si on veut de l’eau ou pas, c’est aujourd’hui la finalité dans laquelle on arrive. J’ai fait 6 passages sur l’hybride et 3 sur le pop, on le verra, mais peut-être qu’on aurait pu descendre à 2. Ce n’est pas sans eau, c’est moins d’eau.

Yannick Payement : Sans référence hybride, les valeurs autour des semences paysannes prédominent, surtout lorsque les avantages se mesurent pour l’élevage

En s’installant, on a essayé de se faire les céréales pour l’alimentation des poulets, sachant qu’au début je n’avais jamais fait de céréales, donc je n’ai pas eu la malchance, je dirais, de connaître les hybrides. […] donc je ne peux pas faire la comparaison chez nous. Ces semences populations sont venues obligatoirement : que ce soit maïs, après tournesol et en maraîchage, quasiment toute la gamme de légume est en semence paysanne.

Le maïs, pour moi, reste la plante la plus utile et qui sera la plus utilisée malgré le changement climatique car c’est celle qui me rend le plus de services, notamment par le fait qu’il est très facile de pouvoir refaire sa semence, plus facile que du blé ou quoique ce soit.[…] Le maïs avec les volailles… se passer de maïs avec les volailles c’est compliqué, nous on est encore à 40% de maïs dans la ration, on a essayé de descendre à 30%, ça n’a pas été concluant. […] L’autre grand intérêt du maïs pour mes volailles, c’est les parcours ! Car les volailles peuvent passer l’été dans le maïs, quand à côté les prairies sont grillées et que les arbres perdent les feuilles, les insectes sont partis se cacher, il fait trop chaud, et bien miraculeusement dans le maïs il y a de l’herbe qui pousse. C’est vivant, c’est très vivant le maïs l’été, même sous la chaleur. On en revient à l’histoire des variétés, il faut une variété qui couvre qui donne bien de l’ombre en dessous, mais les meilleurs lots de poulets que je peux faire l’été c’est dans le maïs, plus même que dans les parcours où il y a les arbres, il n’y a pas photo, c’est sûr et certain.

Dominique Choin : Avec le maïs population, l’aspect social est très fort, c’est une vraie aventure humaine

On fait du maïs population depuis 2010. On a démarré avec […] le CIVAM de Loire Atlantique, c’est un collectif qui a accompagné plus d’une 60aine de paysans sur le mais pop depuis le début. Sur l’exploitation on a démarré avec le maïs Poromb. Puis on est parti sur de la création variétale avec le protocole brésilien avec 10 ou 11 variétés. On a fait aussi du maïs pour la polenta. Un peu trop de choses je pense et en Loire Atlantique il y a une lutte qui nous a pris beaucoup de temps, donc à un moment […] on s’est recentré sur le Poromb. On en fait à peu près 5ha pour du maïs ensilage. On fait de la sélection. On a essayé une année de récolter les épis au corn-picker, cela ne nous a vraiment pas plu. On le fait avec les voisins, cette année on va le faire […] avec d’autres personnes, on a vraiment besoin que l’humain passe au travers du maïs. Je ne sais pas trop comment vous expliquer ça, mais on a besoin de cette relation avec le maïs, de ne pas passer par la machine pour la sélection et la récolte. Du coup quand on ensile, on garde 4 ou 5 rangs dans une parcelle. […]

On conserve en cribs, avec des tout petits cribs. On n’a pas eu de problème malgré des hivers très pluvieux. Ce sont des cribs avec une tôle dessus qui dépasse bien des deux côtés. Après on fait l’égrenage collectivement. Il y a 3-4 sites sur le département lié au collectif. Nous faisons partie de l’un de ces sites, on a une égreneuse sur la ferme. On fait ça collectivement au mois de mars, ce sont des journées assez sympas.

Avant le maïs population, on faisait nous-même nos hybrides […] donc on dépendait encore des semenciers, ça cela nous agaçait un petit peu, c’est aussi ça notre entrée sur le maïs population. Ce n’est pas économique forcément, c’est plutôt politique par rapport aux OGM. Ce sont ces choses-là qui nous ont amené à vouloir se passer des semenciers […] Ma sœur vous dirait que c’est vraiment une réappropriation du savoir paysan.

Il y a aussi un côté social et humain très très fort. Juste à partir d’un petit grain de maïs, on a pu connaître des paysans de l’autre bout de la France. Si on est venu témoigner aujourd’hui, c’est qu’on est content de remettre les pieds chez AgroBio Périgord, car ce sont eux qui sont venus nous former au début, nous donner les semences et du coup on est content de faire ce retour !

Et pour revenir à la comparaison hybrides et populations, moi je suis fils de paysan et […] le maïs c’est une culture ! Mes associés ne sont pas du tout issus du milieux agricole, […] ils sont tombés directement dans le population et n’avaient pas la culture de l’hybride. Et à force d’échanges, ça y est, on a arrêté de comparer, le maïs population c’est une autre culture. […] C’est tout un cheminement, ce n’est pas venu tout seul et j’y reviens encore : c’est toujours le groupe et les échanges qui font qu’on évolue.